dimanche 16 mars 2008

Non, la curiosité n'est pas un vilain défaut

- Dis maman, c'est pourquoi que les moutons y sont frisés ?- Parce que c'est comme ça mon chéri- Et c'est pourquoi que la dame elle est énorme ?- Elle est pas du tout énorme, la dame ! voyons qu'est-ce que tu racontes ?- Et c'est pourquoi que mon papa il habite plus avec nous ?- D'abord, on ne dis pas "c'est pourquoi que", et ensuite, la curiosité est un vilain défaut, mon chéri.
Et pourquoi que maman elle répond comme ça ? parce qu'elle ne sait pas bien pourquoi les moutons frisent, et encore moins pourquoi papa est parti.
Les Anglais, eux, disent : "Curiosity killed the cat." C'est très définitif, mais sans aller jusqu'à tuer le chat, la curiosité est souvent déçue.
Ne demandez pas au patron de ce restaurant furieusement exotique ce qu'il a mis dans son ragoût. S'il vous répond "de la couille de caniche" vous l'aurez cherché. De même, après l'amour, ne demandez jamais à un homme : "à quoi tu penses ?". Neuf fois sur dix il va vous répondre qu'il a oublié de dire à Roger de changer le joint de culasse avant sept heures, rapport au fait qu'il a besoin de la voiture pour être à Dijon à neuf heures et demie. Quant à l'illusionniste, ne cherchez surtout pas à savoir comment il fait pour sortir un lapin d'un as de trèfle. La réponse n'est que désillusion, et dans ce cas il vaut bien mieux rester sur sa faim. Entre parenthèses, l'érudit aussi est un rabat-joie. Vous ne pouvez pas lui poser la moindre question sur le bouturage des giroflées sans qu'il remonte à l'antiquité grecque. Ce qui vous dégoûte de poser des questions.
Pourtant, à l'état brut, la curiosité n'est pas forcément vilaine. C'est même une vitamine. Que fait la créature de Frankenstein dès qu'elle se réveille ? Elle s'arrache du laboratoire, se tire avec ses vis et ses boulons et va explorer le monde. Que fait le bébé dès qu'il arrive à trimbaler son gros derrière dans sa couche-culotte ? il bidouille la prise de courant, goûte le Mir vaisselle et étudie l'impact d'un tournevis dans l'oreille de sa sœur. Evidemment, dans l'ensemble, la curiosité ne lui réussit pas ! pas plus qu'à l'épouse de Barbe Bleue d'ailleurs. Dans un premier temps, elle est très surprise de ce qu'elle trouve dans le cabinet interdit et, d'une certaine manière, sa curiosité est satisfaite : toutes les ex de son mari égorgées et accrochées au mur, ça valait le déplacement. L'inconvénient, c'est la suite. En fait, le seul plaisir qu'elle tire de cette affaire, c'est l'instant (très éphémère) où elle traverse l'interdit. Même chose pour Pandore, responsable de la venue du mal sur Terre pour avoir ouvert la boîte où Zeus avait rangé les misères humaines. Même chose pour Eve, responsable de notre mouise éternelle pour avoir goûté une pomme.
Ce qui m'amène à penser qu'il existe une curiosité mal placée et une curiosité bien placée.
Question ? quand la curiosité pousse un homme à couper les cheveux en quatre pour isoler le plutonium 239 et que ça donne un résultat genre 70.000 morts à Nagasaki, je m'interroge... bien placée ou mal placée la curiosité ? Ah mais ça ma p'tite dame, c'est de la curiosité scientifique ! c'est généralement bien vu... contrairement à la curiosité malsaine de Pandore, Eve et madame Barbe Bleue.
Autre version, franchement nocive : l'indiscrétion... par exemple, vous lisez une lettre qui ne vous est pas destinée. Le début est banal, mais le troisième paragraphe parle de vous : "surtout ne vas pas raconter notre soirée à Simone. Tu sais que ce genre de truc la révulse. Avec son côté coincé, elle va piquer une crise." Quelle soirée ? Quel genre de truc ? Quel côté coincé ? Vous voilà furieuse, et condamnée à ruminer la chose sans pouvoir exiger le moindre complément d'information.
Malgré tout, je pense qu'un curieux sommeille en chacun de nous, qui ne demande qu'à se réveiller avec une énergie variable. La curiosité du bébé est sans limites : une fourmi, un circuit intégré, un éléphant, un caillou, tout l'intrigue de façon égale puisqu'il ne connaît rien. Celle de l'adulte se focalise sur des sujets précis, même chez cette mamie de 123 ans dont la mécanique a tendance à faiblir. Elle a connu deux guerres, Vincent Van Gogh, l'invention du solex et du grille-pain, le poisson carré, la brebis clonée et la tektonik... on se demande ce qui pourrait encore l'agiter. Néanmoins elle tient à savoir ce qui fait pleurer Caroline de Monaco. ;-)
Nan mais franchement, que serions nous sans la curiosité ? C'est elle qui distingue l'homme de la plante verte. (euh, l'homme et tous les animaux de la création, sauf la puce électronique et la brandade de morue).
Sans elle, nous serions encore à grogner au fond d'une caverne, sans même chercher la sortie. Personne ne se serait donné le mal de découvrir l'Amérique et les paparazzi seraient au chômage. Personne n'aurait eu l'idée saugrenue de goûter un truc aussi peu avenant qu'une huître. Personne n'aurait même cherché à ouvrir la coquille pour voir s'il y avait quelqu'un dedans.
Le curieux va de l'avant ! il se pose des questions cruciales qui lui ouvrent des horizons... des exemples ? z'êtes bien curieux...
"Pourquoi la tartine tombe t-elle toujours du côté confiture ?" Le curieux découvre alors l'injustice et les lois de la pesanteur (h = ½ gt2).
"Pourquoi le voisin agite t-il les bras comme s'il y avait le feu ?" Le curieux étudie le langage des signes et comprend... en effet y'avait le feu !!! ;-)
"Y'a t-il une vie après la mort ?" Le curieux découvre le néant et décide de se faire congeler.
"Y'a t-il une vie avant la mort ?" Le curieux regarde autour de lui : maison à crédit, voiture beige (pire que la mort), feuille d'impôts, cho7 dépareillées, 4 enfants et une femme en bonus... Il découvre l'urgence de voguer vers d'incroyables Floride et disparaît sans laisser d'adresse.
En fait, la curiosité est un plaisir qui parfois demande un poil de discipline et qu'il faut apprendre à dompter. Par exemple, si vous démontez un réveil pour voir comment ça marche, prenez des notes au fur et à mesure que vous éparpillez les bidules, sinon, ça ne marchera plus jamais ! Quant à la curiosité ordinaire, il faut être beau joueur et savoir en apprécier le charme sans se faire d'illusions sur le résultat. Si vous grattez un Millionnaire ou autre Morpion, sachez que pour 99% de ceux qui ont tenté leur chance, le seul plaisir aura été de gratter. Si vous voulez devenir détective privé par amour de l'aventure et du frisson, sachez que vous passerez vos journées à filer des gens qui trompent leur conjoint de 13h10 à 13h40. De même, si jamais la curiosité vous pousse à ouvrir votre relevé bancaire, n'attendez pas de miracle ! ;-) Et pour en revenir à celui qui a goûté l'huître pour la première fois, dites-vous qu'il a eu de la chance, mais pensez aussi au pauvre bougre qui a testé la limace, d'abord crue, puis grillée puis en papillote... ça n'a pas dû être un ravissement si l'on en juge par l'absence de limace dans notre gastronomie.
Pourtant il existe une curiosité spéciale qui ne coûte rien et fait toujours plaisir. Vous aimez reluquer les fenêtres éclairées ? moi aussi. Et je ne suis pas la seule car il n'y a pas un seul passant qui ne se plante devant la fenêtre de ma cuisine dès qu'il commence à faire nuit... et cette curiosité là n'est jamais déçue ! parce que derrière le peu qu'on voit, on continue de s'interroger sur ce qu'on ne voit pas. Et on ne saura jamais si dans cet appartement tartiné de papier à fleurs, vit une nourrice agréée, un tueur en série ou un retraité des Eaux et Forêts. Ou un couple d'amoureux transis en train de torturer le chat, ou d'étrenner des pantoufles neuves. On ne saura jamais. Et même si on savait, il nous resterait des milliers d'autres fenêtres éclairées. Un peu comme tous ces blogs sur lesquels on ne peut se passer d'aller faire un tour quotidien... ;-)
Ce qui m'amène à cette conclusion intéressante : seule la curiosité insatisfaite reste pleinement satisfaisante. Même s'il est agréable de gagner 7000 euros au Loto, le plus jouissif c'était avant : quand on faisait la liste de ce qu'on allait acheter avec 7 millions ! En plus poétique, on dit que le meilleur moment de l'amour est celui où on monte l'escalier.
Si la curiosité est un plaisir, elle est comme tous les plaisirs : une fois rassasiés, il s'évaporent.

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Chère Diane-Ève, je suis toujours un tantinet triste quand je vois des textes aussi bien ficelés et menés à terme avec habileté et ne pas être commenté davantage. D'ailleurs, je l'aurais fait plus tôt si mon horaire m'avait permis de lire autant que je l'aurais souhaité ce weekend. J'en profite pour vous remercier, de l'humour comme de la rigueur, de ces superbes lignes. Toujours un plaisir, j'aime découvrir autant de talents, cachés, qui n'attendent que la découverte! Au plaisir!

Diane Eve a dit…

Merciiiiiiiiii Mr Alcolo !
Que d'honneur de la part d'un si bon rédacteur... Ces douceurs me vont droit au coeur ! ;-)

Anonyme a dit…

Magnifique texte Diane-Ève! J'adore l'image de la fenêtre de ta cuisine qui s'ouvre sur une autre fenêtre et ce à l'infini...

Petite on m'a dit que la curiosité est un vilain défaut...Un jour on m'a dit qu'elle était signe d'intelligence...Pour moi elle n'est qu'ouverture et stimulation d'imaginaire...

Anonyme a dit…

MERCI de nous gâter de textes aussi agréables et plaisants à lire.

Comme je ne sais pas si j'aurai le temps d'écrire avant les fêtes pascales, qui sont annoncées neigeuses ici dans le Morbihan, et qui fait dire à un petit bonhomme de 5 ans qu'il cherchera "des oeufs à la neige", j'ose souhaiter à toi et à toute ta petite famille :" Joyeuses Pâques".
Gros bisous Jassure.

Anonyme a dit…

C'est fou tout ce que j'ai manqué de toi depuis un bout! Je t'ai mise dans le coffre à bijou tiens :)

J'adore tout simplement ce texte mouah!