mercredi 24 octobre 2007

Y'a qu'au ciné que c'est parfait...

Ah ! les corps qui roulent dans les draps, l'herbe, le sable ou l'ascenseur ! En pleine étreinte, on ne voit plus rien. Heureusement. Parce qu'il n'y a qu'au cinéma qu'on n'est pas débraillée, échevelée, écarlate et qu'on ne se cogne pas dans la table de nuit...
Avant que ça se précise, à la base de toute histoire d'amour, on est dans la séduction. On se fait belle, on est belle. Mais dès que ses lèvres tombent dans notre cou, ça fait crouler le chignon. Déjà, on sait qu'on vient de perdre en charisme, d'autant qu'il fait encore jour. Et ce n'est que le début. Quand ses joues râpeuses se font câlines, on décide de l'embrasser à l'endroit qui pique le moins. Ça tombe sur les lèvres et là, travelling sur le visage de l'homme qui ne sait pas encore que notre rouge à lèvres lui donne un côté "cabaret" sulfureux.
Et là, ça se précise. Le désir n'est pas que cosmétique : il est aussi physiologique. Des médecins le décrivent : "sous la stimulation, on observe une vasodilatation des capillaires et une activité accrue des glandes sudoripares, ainsi qu'un léger œdème des zones dites érogènes." On est rouge, on transpire. Le mascara meurt sur nos joues. L'aspect positif c'est que les lèvres gonflent, ça peut plaire.
Et là, ça se précise. Voilà qu'on bascule par-dessus le dossier du canapé. Ce n'est pas qu'on soit contre le côté sauvage de la chose, mais s'il pouvait dégrafer le soutien-gorge au lieu de baisser un seul bonnet (ou remonter les deux), on serait tous gagnants. Cela dit, on comprends qu'il soit malaisé d'atteindre l'agrafe quand le chemisier n'est pas déboutonné ! Ce côté précipité ne manque pas de charme, d'autant qu'il vient de découvrir le porte-jarretelles... Dire qu'il y a vingt minutes on faisait attention à se tenir genoux serrés, chevilles jointes, menton dégagé... et maintenant, ça !
Et là, ça se précise. L'idée du lit plane au-dessus de nos têtes. On est complètement d'accord et on adorerait y être, dans la chambre. Le problème c'est d'y aller. L'idéal serait qu'il passe devant et de ne pas allumer pour trouver le chemin. Parce que lui est encore à peu près présentable avec un pan de chemise dehors et deux boutons défaits. Tandis que nous. Un bas qui visse. La jupe autour de la taille. Le soutien-gorge autour du cou. La grande classe. Eviter de croiser un miroir, ce n'est pas le moment.
Et là, ça se précise. Une seule idée, se couler fissa dans les draps pour adopter une attitude séductrice pendant que lui se déshabille (on avait un peu d'avance...). En gros, ça consiste à croiser les bras en corole au-dessus de la tête... et, dans la plus grande discrétion, on s'arrange pour : ôter le trop de rimmel d'un index humecté, faire crouler quelques mèches de part et d'autre de nos épaules, le regarder sans avoir l'air de le jauger.
Et là, ça se précise. Sauf qu'il va falloir en passer par le protocole du préservatif. Avec cette angoisse dans un coin de notre esprit : doit-on dire qu'on en a ? Ouf, non, car spontanément un petit emballage se matérialise dans la main de l'homme. On s'accroche à l'idée que le revêtir est un jeu érotique. Un jeu, en effet : d'abord, dépiauter l'étui. Si on n'a pas d'ongles, avec les dents. Si on a des ongles, en ouvrir un second (avec les dents) celui-ci est éraflé. Ce qui est rassurant, c'est qu'on est deux à avoir l'air naturel, penchés sur un malheureux bout de latex. Et sur le reste.
Et là, ça se précise. Tout juste le temps de feuilleter mentalement un inventaire des positions que c'est déjà tout choisi. Tout le monde commence par le tête à tête. Mais même dans ces conditions élémentaires, on n'est pas à l'abri de menus inconvénients. Une simple épingle à cheveux dans le lit et on gesticule à contre temps. En cours de route, on peut changer de posture. C'est souvent lui qui innove. Mais il répugne à s'expliquer verbalement et préfère nous montrer. On pivote. Trop. On revient. Pas assez. On se fait souple. C'est là qu'on finit par comprendre ce qu'il veut : qu'on ait la tête au nord, nord-est. Galant, il dispose un oreiller sous nos reins. On expérimente un temps l'effet érotique de la bascule du bassin, mais dès que l'oreiller a valsé en partie, olé, on gîte. On tente un rétablissement. Voilà pourquoi on se retrouve en équilibre sur un coude. Qui a déjà tenté la chose, sait la grimace incontournable qu'on est obligée de faire avec l'orbiculaire.
Et encore, ça c'est à la porté de tout le monde. D'autres figures imposées s'avèrent plus trapues... quelques exemples ?
Celle qui suppose qu'on passe ses genoux par dessus les épaules de son partenaire. On a vite, par la même occasion, le nez dans son poitrail. 75 kilos d'homme à soutenir avec nos seules cuisses. On pense à "la nuit des héros". Y a un homme dans la même position, il soulevait une moissonneuse batteuse.
Celle qui suppose que la femme s'installe sur l'homme. Un côté Walkyrie qui n'est pas sans nous séduire. Sauf qu'on éprouve la violence de l'effort physique à fournir. Et dire qu'un homme peut faire ça tous les jours. Lui, pendant ce temps nous regarde. Et nous, on sait que la pratique de l'équitation demande un soutien-gorge de première qualité.
Et toutes celles qui demandent un tout petit peu d'équilibre. Les trapézistes me comprendront. Ça ne se fait pas sans concentration. D'où cette impression que chacun fait quelque chose de son côté, qu'il faut absolument surmonter.
Et encore ne pas perdre de vue qu'on est dans un lit. C'est une chance inouïe.
Et dans tous ces ébats, en permanence, le seul véritable risque est de tout rater. Compromettre par une maladresse les chances de cet homme de se cambrer comme un merlan en colère. Et même si l'on fait partie des 70% des femmes qui échappent au plaisir, garder suffisamment de self-control pour s'exprimer dans des vocalises gracieuses. Car aucune femme réellement prise dans les rets du plaisir ne roucoule : "je vois des étoiles partout, c'est comme un feu d'artifice". Ça c'est au cinéma, un rôle de composition rétribué qui exige qu'on ait toute sa tête. Dans la réalité, ça demande bien trop de mots. Qu'on arrive à produire des consonnes et des voyelles, soit, mais pas simultanément. Si l'orthophoniste nous entendait, il penserait qu'il y a du boulot. Et si l'ORL entendait l'homme, il diagnostiquerait une crise d'asthme. Quand on surprend ça derrière une cloison d'hôtel, on se rend compte à quel point c'est primitif.
C'est seulement lorsque nos corps sont apaisés que l'être humain qui est en nous reprend le pas sur le cerveau reptilien. On s'aime. On s'endormirai bien comme ça, tout emmêlés... D'ailleurs, lui dort déjà ! On se démène discrètement, comme une tortue retournée sur le dos, pour récupérer notre moitié de draps. Un pied dépasse, on n'en tiendra pas compte. De toute manière, on a bien d'autres raisons de ne pas pouvoir dormir. Ou il s'endort dans nos bras et, au bout d'une demi-heure, c'est les fourmis. Ou on s'endort contre son cœur et on entends les Tambours du Bronx... Seul avantage à ne pas dormir, c'est qu'on peut repenser à ce qui vient de se passer. Un sourire naît sur nos lèvres. C'est à ce moment là qu'il faudrait qu'il nous voit... mais il dort !

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