vendredi 20 février 2009

De l'art de buller sans scrupules !


Une semaine de vacances… une semaine de bullage ! Et ben oui, envie de faire relâche ! Flemmarder, buller, ne rien faire ! Et croyez moi, par les temps qui courent ça demande un mental très fort ;-)

Pour ma part, j’ai gardé une image assez précise du paradis terrestre : il y avait du soleil et on ne faisait rien –sauf tâter une pomme de temps en temps pour voir si elle était mûre. C’est d’ailleurs de là qu’est venu le problème. On s’est fait virer et depuis, on est censé gagner son pain à la sueur de son front. Voilà des lustres que le travail est érigé en vertu pendant que l’oisiveté (mère de tous les vices) et la paresse (célèbre pêché capital) sont injustement dénigrées. Avez-vous remarqué, quand on demande aux gens ce qu’ils font dans la vie, ils sortent tout de suite leur CV –CDD de plomberie, prof de chimie en zone sensible- tout en précisant qu'ils font tel ou tel sport 3 fois par semaine... mais il est très rare que quelqu’un réponde : "je fais toujours une petite sieste entre midi et deux".
Et le progrès n'arrange rien. Maintenant on est même censé s’épanouir en travaillant. Trop fort ! Dites, à l’époque, quand un mineur de fond remontait à la surface, est-ce que quelqu’un osait lui demander s’il était épanoui ? En tout cas moi je n’aurais pas pris le risque !
Et bien sûr, tout ça, ça a empiré avec le chômage !!! Dès qu’on exprime une légère lassitude parce qu'on bosse comme une bourrique, on se fait engueuler : "haaan ! comment oses tu te plaindre ? tu sais pas la chance que t’as d’avoir du travail !"… et ben didon ! si on n'a plus d'autre choix qu'entre le chômage et le survoltage, je trouve qu'on est pas loin de dépasser les bornes des limites en matière de civilisation !!!
Et c’est pas tout ! quand on a fini de s'épanouir au boulot, pas question de se vautrer dans le canap’ ! On reste sur la brèche, tonique et survitaminé, toujours en train de bricoler quelque chose, de se muscler la fesse et l'intellect, de combler un vide, de traquer le temps mort… Hey, vous avez remarqué ? même quand on marche dans la rue et qu'on ne sait pas quoi faire à part marcher, aussi sec, on sort son portable pour informer un copain qu'on marche dans la rue… inutile de dire qu'on dérange le dit copain, qui est lui-même très occupé, nécessairement ! Et puis, histoire d'assurer la relève, on envoie les gosses à l'école avec vingt kilos de livres sur le dos, et quand ils reviennent, on les expédie faire du taekwondo, de la flûte à bec, du trapèze volant ou de la poterie Inca… et je vous fais grâce des méthodes révolutionnaires de stimulation prénatale, sensées rendre le cerveau du fœtus plus performant : comme ça, bébé parle à six mois et commence à bouquiner vers dix-huit mois… avec un peu de chance, il passe son bac à 6 ans !
Franchement, j’ai l’impression qu'on s'est fait avoir quelque part et qu'il faudrait réhabiliter quelque peu l'oisiveté, la flemme et le "rien".
Malheureusement, on a tous perdu la main. On ne sait plus comment s'y prendre pour buller correctement. Faudrait ptêt’ envisager des formations accélérées de bullage avec remise à niveau permanentes… parce qu’aujourd’hui, seuls quelques élus sont encore capables de tenir deux heures sur une chaise longue, à regarder la lumière changer sur une colline. On s'ennuie vite et on a la cupabilisette facile. Et tout ça à cause de notre seuil de tolérance à l'ennui qui flirt avec le zéro absolu. Je l’avoue, jusqu’à y’a pas très longtemps, le mien était dramatique, et lorsque j’étais coincée sans possibilité de fuite, les crises étaient violentes. A l’époque où Môssieur Chéri me trainait jusqu’au théâtre, j'ai cru maintes fois imploser d'ennui, retenant un long hululement d'angoisse… c’est d’ailleurs à ce moment que j’ai saisis la véritable portée de la phrase de Woody Allen : "L'éternité, c'est long, surtout vers la fin".
Et pourtant... j'ai découvert récemment que si on a la force de se laisser submerger par l'ennui, on peut facilement l'apprivoiser, surtout si le cadre s'y prête… genre une petite pinède en bord de mer (plutôt qu'un parking entre deux poubelles). D’autant que si l’on regarde de plus près, on peut aisément constater que l'ennui est une terre féconde d'où naît la création. Avez-vous déjà observé un enfant qui s'embête ? il cherche à s'évader ! Il gribouille des dessins sur les murs, il sautille à pieds joints les mains croisées au dessus de la tête, il invente des trucs comme le tire-bouchon, l'art conceptuel ou le vaccin contre la rage. Tandis qu'un enfant qui ne s'ennuie jamais parce qu'on le distrait tout le temps ne fera jamais rien de bien. Enfants, Léonard de Vinci et Emile Coué (inventeur de la méthode) devaient se barber copieusement.
Et comme je me pose toujours des questions existentielles sur le pourquoi du comment que ça s’est passé et où céti que ça cloche, j’ai repris les choses au début du commencement…
Après son exclusion du paradis terrestre, l'homme, qui devait désormais transpirer pour manger, a inventé le lance-pierre pour tuer les ours, puis la roue et la brouette pour transporter les ours, puis l'esclavage pour gagner son pain à la sueur du front des autres. Un jour, il a inventé les congés payés, et tout le monde a découvert La Bourboule, Palavas-les-Flots et le maillot de bain en laine à col roulé qui ne sèche jamais. C'était plutôt sympa et on aurait bien pu s’en tenir là. Mais ça n'a pas duré. Un glissement sournois s'est opéré, et on nous a infligé les vacances trépidantes. Maintenant, au lieu de rester à plat ventre dans l'herbe à enquiquiner une coccinelle, nous voilà censés faire du parapente, du canyoning, du rodéo, du safari-photo, de la visite intensive d'igloos ou de pyramides, ou, au moins, du bricolage et du jardinage…
Et le pire, c’est que tout le monde y passe ! même les retraités…
Avant, le ptit vieux faisait une partie de pétanque entre deux pastis pendant que sa ptite vieille papotait sur un banc avec ses copines. Et le soir, tout le monde se retrouvait au bistrot pour la belote (ou le rami… selon).
Mais aujourd'hui, les "seniors" se démènent comme des malades. Ils font le Kamtchatka, l'Andalousie ou le Vietnam, et bientôt la Lune. Revenus chez eux, ils apprennent le lituanien ou le bantou, ils font de la brasse papillon ou de l'escalade, histoire de mourir en pleine forme ! Et ben oui, faut pas oublier qu’à présent, il est très mal vu de mourir fatigué : ça déprime les autres. De plus… il va sans dire qu’un senior qui arpente la planète à toute berzingue est bien plus lucratif qu'un petit vieux qui vient de louper trois fois le cochonnet, et cette frénésie a l'avantage de booster le commerce... à cette vitesse et dans l'état de névrose où nous sommes, il est bien clair que nous refuserions de réintégrer le paradis si on nous le proposait, juste sous prétexte qu'il ne s'y passe rien.
Et pourtant, comme disait Samuel Beckett : Aaaaah ! me répandre par terre comme une bouse et ne plus bouger !
Sans aller jusqu'à revendiquer cet affalement extrême, je trouve qu'il serait intéressant pour notre qualité de vie de réapprendre l'art du farniente.
Bon alors évidemment, ça se fait pas comme ça, d’un claquement de doigt du jour au lendemain. Moi, j’ai commencé en vacances… c’est évidemment plus facile. En hôtel club, formule All Inclusive… LE meilleur endroit pour réapprendre à Ne Rien Faire… Ah si ! Faire la planche dans une mer tiède… C'est le degré zéro de l'agitation. Ah oui, et aussi rester affalée sur mon transat pendant que les autres vaquaient à des occupations cruciales comme photographier des papillons, s’agiter dans la piscine pendant les cours d’aquagym, visiter des fresques à moitié effacées ou acheter des cartes postales qu'il faudra expédier partout. Quel bonheur… et pour être sûre qu’il ne soit pas gâché par le fameux sentiment d'ennui évoqué plus haut, je me suis lancée à corps perdu dans l’art de la contemplation… oui oui, je ne déconne pas ! j’en ai ainsi conclu que les meilleurs objets de contemplation sont les choses molles ou effilochées comme les vagues et les nuages. Les rares fois où j’ai vu une colonie de fourmis en train de trimbaler des trucs lourds j’ai explosé de rire ! Et quand les excités de la vacance active revenaient de leur excursion en me disant que j’avais loupé quelque chose, ça ne m’atteignait même pas ! Bon, je ne vous cache pas qu’il a été difficile de ne pas replonger au retour des vacances. L'énergie est une drogue dure. Il suffit de deux ou trois jours de trépidation pour rechuter. Mais j’ai tenu fermement. Mon répondeur clignotait fièrement parce qu'il avait avalé 32 messages pendant mon absence… et bien je l’ai ignoré ! Après tout, rien ne m’obligeait à rappeler immédiatement 32 énervés qui allaient immanquablement me demander ce que j’avais fait pendant les vacances…
Au lieu de ça, je me suis allongée près de la piscine, sous le cerisier, et j’ai discuté avec Manouche ! Et on en revient au Chat ! J’en parlais l’autre jour. Le chat est l'hédoniste parfait. Il ne fout strictement rien - sauf bâiller entre deux siestes. S'il quitte un coussin pour un autre, c'est que l'autre est plus mou (ou ensoleillé), et s'il saute sur vos genoux, c'est qu'il a besoin de quelqu'un pour lui gratouiller le menton - le faire lui-même serait moins jouissif. Et si, parfois, tel un Mig-21, il part en vrille, gicle contre un mur, escalade un rideau, éventre la poubelle et trucide un bégonia, c'est que tel est son bon plaisir. Mais vous n'irez jamais faire croire à un chat que le travail est un facteur d'épanouissement. Je confirme et signe donc : on a tout à apprendre à vivre avec un chat !
Juste une précision, pour ceux à qui le bullage fait peur, ne rien faire peut consister à faire une foule de trucs minuscules et peu contraignants comme courir après les papillons, mariner dans la baignoire jusqu'à ce que la peau fasse des plis, zapper trente-huit chaînes de télé, feuilleter un magazine à l'envers, ou lire Bourdieu en se mettant les doigts dans le nez. Tiens, à ce propos, je me suis amusée à un petit sondage… quand j’ai demandé aux passants ce que ça représente pour eux, "rien foutre", 8/10 m’ont répondu : lire. C'est très flatteur pour les écrivains !!
Pour le dépaysement, on peut prendre un bus au hasard et se laisser porter jusqu’au terminus et revenir.
Pour le plaisir, on peut s'offrir une séance de massage ; C’est doublement satisfaisant : on ne fait rien et quelqu'un s'épuise. Ah le confort !
Autre truc pas mal : remettre au lendemain ce qu'on pourrait faire le jour même. C’est super intéressant car le lendemain, on s'aperçoit que ça peut encore attendre un mois ou deux, voire trois ans. (Attention, ça ne marche pas pour tout. Repousser aux calendes grecques le paiement du tiers provisionnel coûte 10%. En revanche, se taper trois heures de queue pour aller voir l'expo du siècle peut attendre.)
Un exercice simple et particulièrement efficace que j’adore faire… jouer le contraste : je fais une méga liste selon laquelle j’envisage de me coltiner toutes sortes de corvées rebutantes et j’y renonce. Ah quel pied ! Prenez Hercule et ses douze travaux. Imaginez qu'après avoir consulté sa liste - étouffer le lion de Némée, récurer les écuries d'Augias, vaincre la reine des Amazones, enchaîner Cerbère, j'en passe et des meilleures -, il décide de laisser tomber. Même chose pour Sisyphe à sa 326e remontée de caillou. Siiii, je vous assure ! Essayez !
Un dimanche de février tristouille et bas de plafond (bon dépêchez vous, il n’en reste que 2), levez-vous à l'aube et révisez le programme de la journée : se pomponner, faire le marché sous la pluie, préparer deux repas équilibrés pour quatre personnes, déguiser le ti bonhomme en enclume pour l’emmener à l’anniversaire du copain de classe, arriver à plonger le pré-ado et ses baskets dans un bain moussant, etc.
Respirez à fond et envoyez tout le monde se balader au parc. Recouchez-vous pour le reste de la journée, sans rien faire d'autre que crapahuter jusqu'au frigo en cas de famine et jusqu'aux toilettes en cas d'urgence. Sur le trajet, si vous rencontrez une chaussette qui traîne, ne la ramassez pas ! c'est plus difficile qu'on ne croit parce que c'est machinal. En revanche, quand vous revenez de la cuisine avec une tartine beurrée, vous pouvez vous caler dans votre fauteuil face au pici et rédiger un truc sur cette époque farfelue où la Wonderwoman participait activement à la libération de la femme en prouvant que bosser à plein temps et élever des triplés (en restant pimpante) était à la portée de la première venue.

En bref et en bonne Miss Météo qui se respecte, j'ai très envie de vous dire : Faites-vous une vie "belle à peu agitée" avec parfois, pour vous amuser, un "vent force 4 mollissant dans la nuit". Guettez attentivement les premiers symptômes de rechute. Si vous vous surprenez à cavaler après un bus, accepter des heures sup’ ou passer un coup de fil en épluchant les carottes pendant que la lessive tourne, avant de péter les plombs, ruminez ce proverbe africain :

"Pagayer contre le courant, ça fait marrer les crocodiles".

Tout ça pour vous dire que je suis en vacances depuis vendredi dernier et que j’ai rien foutu de la semaine !!! et ça… c’est que du bonheur ! 


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La Pensée du jour
Il ne faut jamais remettre à demain ce que l'on peut faire d'une seule...

3 commentaires:

CULCULSCLAN a dit…

Quel plaisir, le dimanche matin, de mettre le réveil à sonner à 6.00 juste pour le plaisir de l' éteindre et se r'endormir Grosses bises à vous.

Anonyme a dit…

Bonjour Chère Diane-Eve. Vos références inépuiasables m'impressionneront toujours. C'est surement difficile de pouvoir buller sans rougir mais je dois avouer que cela fait du bien parfois. Surtout lorsque le planning que l'on s'auto impose ne le permet pas. Prennez soin de vous.

Diane Eve a dit…

@ Djinn : références inépuisables ??? pour le paradis ce ne sont que des lectures ;-) pour le reste je n'ai jamais su faire et je l'avoue bien bas ! si ce n'est en vacances, cet été en tunisie et là maintenant seule avec ti d'homme... mais ça ne m'a pas réussi !!!